7.

Mercredi 9 janvier 1585

Cassandre et les trois hommes durent s’arrêter à Fons tant la neige était épaisse. On les reçut au château et ils repartirent à l’aurore blême sur les routes gelées. Dans l’après-midi, ils arrivèrent à Gramat où ils furent hébergés comme des rois. C’est dans la journée du lendemain, le mercredi, qu’ils tombèrent dans l’embuscade.

Ils avaient prévu de passer la nuit à Meyronne, dans le château de M. de Genouillac qui les aiderait à passer la Dordogne en barque. Un peu avant Meyronne, au début de l’après midi, ils aperçurent sur leur droite une dizaine de cavaliers dévaler une colline dans leur direction. À leurs cris, aux armes qu’ils brandissaient, il n’y avait aucun doute sur leurs intentions. C’était certainement la horde d’un petit hobereau qui rançonnait les voyageurs passant sur ses terres. Cassandre et son escorte lancèrent aussitôt leur monture au galop mais le chemin défoncé et enneigé fatigua rapidement les chevaux. Caudebec comprit qu’ils devraient livrer bataille. Par chance, ils aperçurent un pigeonnier carré, posé sur quatre colonnes de pierre. Son toit était en partie carbonisé, peut-être par la foudre, peut-être brûlé par des pillards, mais le reste de la construction était solide. Caudebec fit signe aux deux Suisses pour qu’ils s’y dirigent à travers un champ en friche.

La poursuite dura quelques minutes, ils n’allaient pas vite et ceux qui les suivaient connaissaient le terrain. En se retournant, Caudebec vit que les brigands s’étaient scindés en deux groupes pour les prendre en tenaille. Ils n’arriveraient jamais à temps au pigeonnier. Et même s’ils y parvenaient, comment se défendraient-ils là-bas ?

Cassandre, la plus légère, arriva la première au bâtiment, avec son cheval supplémentaire en longe. Elle sauta au sol pour attacher les bêtes et vit qu’elle était seule.

À cent toises derrière elle, ses trois compagnons avaient mis pied à terre et saisi leurs mousquets tandis que la plus grosse troupe de détrousseurs arrivait. Ceux-là étaient sept. Les chevaux abandonnés par les trois hommes, ainsi que celui de bât, marchaient lentement vers le pigeonnier pour rejoindre leurs congénères.

Son mousquet solidement posé sur la fourquine[34], Hans, serein et appliqué, battit son briquet. Cassandre vit grésiller la mèche lente qu’il tenait en main. Caudebec et Rudolf, accroupis dans la neige, attendaient calmement qu’il la leur passe.

Mais où étaient les autres brigands ? Elle les chercha des yeux et s’aperçut qu’ils étaient montés sur une élévation de terrain pour fondre plus vite sur elle. À son tour, elle détacha son mousquet, s’installa sous le pigeonnier et planta la fourquine dans le sol, puis elle sortit son épée, la mèche lente, et battit sa pierre à feu. L’étoupe s’enflamma et elle plongea la mèche dans le briquet, attendant avec calme que les cavaliers s’approchent.

Dans son dos, trois coups de feu retentirent presque en même temps. Elle tourna rapidement la tête et vit trois brigands désarçonnés. Elle sourit tandis que retentissait une pistolade d’arquebuses à main, mais elle ne pouvait plus regarder, déjà les trois écorcheurs fondaient sur elle. Elle visa le premier : un jeune homme de son âge sans casque ni cuirasse, plutôt beau garçon. Elle songea avec tristesse que, dans d’autres circonstances, elle aurait peut-être dansé la pavane avec lui.

Elle tira. Touché en pleine poitrine, il s’écroula devant elle. Cassandre saisit aussitôt son pistolet à rouet. La mort d’un des brigands n’avait pas freiné l’ardeur belliqueuse des deux derniers. La jeune femme tira de nouveau et rata sa cible, mais le cheval eut peur et fit chuter le brigand. Le troisième maraud fondait déjà sur elle pour la sabrer d’un coup d’épée mais gêné par les colonnes du pigeonnier, il ne l’atteignit pas et sauta au sol. Déjà, celui qui avait été désarçonné se précipitait, épée haute.

Bien plantée, elle les attendait, miséricorde dans une main et épée dans l’autre. Les deux hommes tournèrent autour d’elle, cherchant à la prendre à revers. Elle se jeta sur le premier avec une violence inouïe et le fit reculer d’une série de battements de lame. Alors qu’il glissait dans la neige, Cassandre fit volte-face pour parer un coup de son compagnon. Lui aussi était très jeune, il n’avait certainement pas plus de seize ans. Elle fit quelques passes, l’amenant vers celui qui était tombé et qui se relevait déjà. En s’approchant de celui-ci, elle lui lança sa miséricorde dans la poitrine. L’autre gargouilla et sa bouche s’emplit de sang.

— Vous l’avez tué ! Vous avez tué mon frère ! hurla le jeune garçon.

Le pauvre ne connaissait rien à l’escrime. Après quelques passes, elle lui perça le bras et il lâcha sa lame.

— Demandez-vous merci ? lui lança-t-elle.

— Oui.

— Mettez-vous à genoux !

Il s’exécuta en serrant son bras ensanglanté. Tout en le surveillant, Cassandre se tourna vers Caudebec et les Suisses. Il n’y avait plus que deux brigands vivants qui venaient de jeter leurs armes et de crier : « Merci ! »

Caudebec les fit avancer vers le pigeonnier, pendant que les Suisses rassemblaient les chevaux. Deux des détrousseurs, blessés par une balle de mousquet, gémissaient par terre et ils les égorgèrent sans état d’âme.

Ils se retrouvèrent au pigeonnier pour attacher les trois prisonniers. Hans et Rudolf ne ramenaient aucune picorée, sinon les chevaux et les armes des brigands, de vieilles rapières rouillées. Les maraudeurs ne possédaient rien, pas même quelques pièces de cuivre.

— Que faisons-nous d’eux ? demanda Caudebec à Cassandre.

— On les pend ici ! décida Rudolf en allant prendre une corde sur un cheval.

Hans approuva du chef en rechargeant les mousquets.

— Nous payerons rançon, supplia le jeune garçon, au bord des larmes.

— Qui êtes-vous ? lui demanda Cassandre.

— Émeric de Rouffignac, et eux sont nos valets d’armes. Vous avez occis mon père, mon oncle et mes deux frères, nous avons demandé merci.

— Moi, je pends toujours les brigands, même les Rouffignac, assura rudement Rudolf.

— Vous connaissez les Rouffignac, Caudebec ?

— Vaguement, leur château a brûlé il y a vingt ans, je crois. Ils n’ont plus rien et il ne paiera jamais de rançon.

— Je n’ai rien, monsieur, c’est vrai, mais je vous promets que je vous paierai. Les Rouffignac tiennent toujours parole. Ce sont les troupes de M. de Guise qui ont pris notre château. Seuls mon père et mon oncle ont pu fuir. Mon père est revenu plus tard et a épousé ma mère, une paysanne. On vit dans la ruine et ma mère est morte de faim, l’année dernière. Je suis le dernier Rouffignac.

— Comme ça bientôt il n’y en aura plus ! plaisanta Rudolf en lui passant la corde au cou.

Les deux valets d’armes murmuraient une patenôtre, attendant leur sort avec fatalité.

— Non ! décida Cassandre. On ne les pendra pas, laissons-les partir.

— C’est folie, ma… monsieur, déclara Caudebec. Il cherchera à se venger.

Caudebec savait que la première cause des malheurs de ce temps était la vengeance. Coligny n’avait-il pas été tué par Guise qui voulait venger son père ?

— Je vous jure que je ne me vengerai pas… et que je paierai rançon, sanglota le garçon en tombant à genoux. Je serai votre serviteur…

— Je ne veux pas de votre rançon, et je ne veux pas de vous comme serviteur, décida Cassandre.

Le garçon ignorait qui ils étaient, il ne les retrouverait jamais.

— Hans, mets toutes leurs armes sur un cheval que nous garderons par devers nous. Qu’ils partent sans rien. Si tu penses que leurs montures sont sans valeur, laisse-les.

Rudolf soupira et détacha la corde qu’il rangea sur sa selle. Après avoir attaché toutes les ferrailles sur une selle, Hans examina les bêtes.

— On peut garder celle-là, décida-t-il.

Puis Rudolf fouilla les prisonniers et les cadavres des deux frères occis par Cassandre. Dans l’habit du plus âgé, il trouva une chaîne d’argent qu’il empocha.

Ils repartirent, laissant les prisonniers attachés. À eux de se libérer, avait décidé Caudebec.

Arrivés à Meyronne, ils jetèrent les armes dans la Dordogne.

En passant le pont Notre-Dame sur lequel se serraient les échoppes de bijoutiers et d’orfèvres, Jehan Salvancy, receveur général des tailles de l’élection de Paris, songeait à sa fortune. Dans la sacoche de sa selle, étroitement surveillée par ses deux gardes du corps, se trouvaient six mille écus d’or de trois livres qu’il ramenait de chez le banquier Scipion Sardini.

Il devait les remettre à Isoard Cappel, trésorier de la sainte union. Cela écornerait un peu son pécule, mais cette somme ne représentait qu’une goutte d’eau dans sa fortune de neuf cent mille livres.

Il est vrai qu’elle n’était pas toute à lui. Hélas ! Trois cent mille livres appartenaient à la sainte union (moins les six mille écus qu’il transportait) et cent mille à son protecteur. Il s’y était engagé. Le reste, soit cinq cent mille livres, reviendrait au duc de Guise, qui assurait sa protection, et auquel il avait déjà donné la même somme. Mais il lui en resterait cent mille.

Avec cette somme, quand le cardinal de Bourbon serait sur le trône, il achèterait la charge de trésorier de l’Épargne. Le duc de Mayenne lui avait promis d’appuyer sa demande auprès du cardinal quand celui-ci serait roi sous le nom de Charles X. Ainsi, riche et respectable, il n’aurait plus besoin d’utiliser de faux seings.

Il sourit en songeant à la fraude qu’il avait découverte cinq ans plus tôt et qui avait assuré sa fortune.

À cette époque, le royaume de France était constitué de territoires soumis à des règles fiscales différentes. Les provinces, rattachées tardivement à la couronne – les pays d’États –, possédaient des assemblées des trois ordres qui votaient le montant de l’impôt à verser à l’Épargne. C’était le cas de la Provence, du Dauphiné, ou encore de la Bourgogne. En revanche, dans les provinces les plus anciennes, comme l’Île-de-France, le calcul des tailles et sa répartition étaient faits par des élus et le territoire de leur action s’appelait l’élection.

L’élection de Paris englobait l’Île-de-France, sauf la ville de Paris et ses faubourgs qui étaient exemptés de la taille depuis 1449. Elle était découpée en subdélégations et regroupait quatre cent cinquante paroisses. Jehan Salvancy était receveur général des tailles pour environ cent cinquante d’entre elles, de Enghien jusqu’à Versailles en passant par Saint-Germain.

Tout avait commencé en 1581, l’année de la disgrâce du marquis d’O. Cette année-là, un collecteur lui avait signalé un accroissement singulier des nobles par charge de secrétaire du roi, ou par lettre de provision sur charge anoblissante. Il s’agissait d’audienciers, de référendaires, de chauffe-cire de la grande chancellerie, de notaires secrétaires ou encore d’huissiers ordinaires de la grande chancellerie.

Or la taille était un impôt solidaire. Si certains ne payaient pas leur part, c’était aux autres habitants du village de payer pour eux. Mais les asséeurs n’avaient pu modifier la répartition, comme c’était l’usage. Le faire aurait provoqué une émeute, car ces fraîches noblesses étaient exercées par les familles les plus riches de sa paroisse. La conséquence en avait été une baisse sensible du montant de la collecte.

Jehan Salvancy en avait été fort ennuyé, car s’il ne pouvait justifier la baisse de rendement de l’impôt, il en serait responsable sur ses propres deniers. Il voulut donc vérifier s’il n’y avait pas fraude.

Dans le système de taille personnelle qui était appliqué dans l’élection de Paris, le moyen le plus commun pour échapper à l’impôt était l’anoblissement frauduleux, puisque les nobles étaient exemptés de ce prélèvement. Mais les contrôles permettaient vite de déjouer la fraude. Ceux qui se disaient nobles devaient en effet présenter leur lettre de noblesse ou leur lettre de provision à la chambre des Comptes ; les plus récentes étant scellées par le sceau de la chancellerie.

Jehan Salvancy avait montré les noms de ces nouveaux nobles à l’élu chargé de la répartition des tailles, lequel lui avait confirmé qu’il s’agissait d’une véritable noblesse. Il l’avait assuré avoir personnellement vérifié les lettres de provision. Elles paraissaient irréfutables puisqu’elles portaient toutes le sceau de la grande chancellerie de France.

Pourtant Salvancy avait remarqué que les nouveaux nobles se trouvaient tous dans huit paroisses contiguës, et qu’ils étaient plus ou moins voisins. Dans toutes les autres paroisses dont il était le receveur général, ce phénomène d’augmentation des charges anoblissantes n’était pas observé. Comment un tel prodige était-il possible ? La noblesse ne s’attrapait pourtant pas comme la peste !

Il avait parlé de cette curiosité avec celui qui lui avait prêté l’argent pour acheter sa charge. Cet ami, haut placé dans le milieu financier, était aussi son protecteur. À partir des noms et des charges des nouveaux anoblis, il avait fait quelques discrètes vérifications auprès de la chancellerie pour constater qu’aucun de ces anoblissements n’était enregistré. Pourtant, les lettres de provision portaient toutes le grand sceau de France.

Comment cela se pouvait-il ? Ce sceau, inimitable, était conservé par le garde des sceaux dans une cassette en argent doré qui ne le quittait jamais. Il était donc impossible de l’utiliser sans qu’il le sache.

Salvancy était allé interroger les falsificateurs et il n’avait pas été difficile de les faire avouer. Menacés des pires tortures, ils avaient mis en cause l’un d’entre eux, lequel avait donné le nom de Larondelle, un graveur de sa famille capable d’imiter et de graver n’importe quel sceau. C’est lui qui avait eu l’idée des fausses lettres de provisions présentées à l’élu chargé de vérifier les facultés des taillables à partir de rôles établis par le bureau des finances. Contre espèces sonnantes et trébuchantes, il en avait ensuite fait bénéficier ses amis et ses proches.

Salvancy aurait dû dénoncer ces gens au tribunal de l’élection et les faire sévèrement châtier, pourtant son protecteur lui avait demandé de n’en rien faire. En revanche, sous la menace d’être traînés en justice, et probablement pendus, les fraudeurs avaient été contraints de verser chaque année au receveur général la moitié des tailles qu’ils auraient dû payer. Salvancy avait prélevé le denier dix de cette somme, le reste allant à son protecteur.

Ce serait pour financer une confrérie catholique, lui avait-il assuré.

Quelques mois plus tard, le protecteur de Jehan Salvancy lui avait présenté l’entreprise qu’il avait imaginée. Déchiré entre les princes lorrains et la république protestante d’Henri de Navarre, le royaume sombrait. L’intrigue, la violence et la confusion régnaient partout. Les éléments naturels, eux-mêmes, participaient aux dérèglements avec des hivers rigoureux et des débordements de rivières qu’on n’avait jamais connus. Le peuple était ruiné et incapable de payer plus d’impôts. La situation était propice à un massif détournement des tailles pour autant qu’il soit bien dissimulé. Il avait approché un de ses amis, M. Robert Letellier, un ancien drapier devenu le trésorier de la maison du duc de Guise à Paris. Letellier lui avait assuré que, si une partie des tailles volées était reversée au duc, qui avait besoin d’argent, celui-ci leur accorderait sa protection s’ils étaient découverts. Ils pourraient ainsi s’enrichir personnellement sans aucun risque.

Car le procédé de la fraude était fragile, et l’importance des détournements attirerait indubitablement l’attention du surintendant des Finances. La protection des Lorrains était donc une solide assurance. Par sécurité, son protecteur avait aussi introduit de fausses écritures dans les comptes permettant d’accuser quelques trésoriers, voire un intendant des finances, afin de détourner les soupçons.

Salvancy avait donc accepté. La première année, en 1581, il avait réussi à dérober cent mille livres à l’Épargne. Fort de ce succès, son protecteur avait parlé de son entreprise à Michel de La Chapelle, qui lui était proche. C’était l’époque où M. de La Chapelle, M. Hotman et le père Boucher songeaient à constituer la sainte union. Eux aussi avaient demandé à recevoir une partie des tailles rapinées. En échange, ils fourniraient des complicités dans le monde financier, ainsi que leur appui quand ils auraient chassé le roi. C’est ainsi que Salvancy s’était vu promettre, par le duc de Mayenne, l’office de trésorier de l’Épargne, et son protecteur celui de la surintendance des Finances.

L’année précédente, le fruit de leurs rapines avait atteint six cent mille livres et M. Salvancy pensait détourner cette année huit cent mille livres.

Le duc de Guise avait déjà reçu plus de cent cinquante mille écus grâce à ces fraudes et le conseil des Six disposait de cent mille écus sur son compte, chez le banquier Sardini, afin d’acheter des armes et des complicités.

Progressivement, le dispositif s’était amélioré avec d’autres officiers et magistrats qui les avaient rejoints. Si certains le faisaient par intérêt, pour la plupart seul le zèle religieux les motivait, car, avant de les recruter, Salvancy leur expliquait que les tailles détournées iraient à une sainte union catholique et au duc de Guise.

Mais la fraude était devenue tellement importante que le surintendant des Finances, M. de Bellièvre, avait finalement ouvert une enquête. Le protecteur de Salvancy avait provisoirement réussi à détourner les soupçons vers quelques trésoriers connus pour leur malhonnêteté dont il avait porté de fausses écritures dans les comptes de l’élection. Ceux-là avaient été jugés et pendus au printemps, sans comprendre qu’on leur reprochait la chute vertigineuse du rendement des tailles.

Un peu plus tard, c’est M. Benoît Milon, le premier intendant de M. de Bellièvre, qui avait été prévenu par M. de La Chapelle d’une prochaine accusation. Bien qu’innocent, il s’était enfui, ce qui avait un temps laissé croire à sa culpabilité, car il avait quelques infractions à se reprocher.

Cependant, ces manœuvres ne pourraient pas être renouvelées et éloigner les soupçons allait être de plus en plus difficile, ce qui ne manquait pas d’inquiéter M. Salvancy. Après la fuite de Benoît Milon, M. de Bellièvre avait demandé au maître des comptes Antoine Séguier de diligenter un examen complet des registres de l’élection de Paris. C’est un contrôleur des tailles nommé Hauteville qui en avait été chargé. Celui-ci avait une grande expérience dans la vérification et il avait rapidement découvert plusieurs anomalies qu’il avait détaillées dans un mémoire.

Il n’y avait eu alors qu’une seule solution, qui attristait encore Salvancy, car M. Hauteville était un ami et un bon catholique. Avec le commissaire Louchart, le père Boucher, et son protecteur, ils avaient minutieusement préparé son assassinat. Accompagné de deux hommes de main – ses gardes du corps, nommés Valier et Faizelier –, son protecteur s’était présenté chez M. Hauteville. Celui-ci, qui le connaissait, lui avait ouvert sa porte sans méfiance et Valier l’avait aussitôt poignardé. Mais, par malchance, Hauteville avait eu le temps de crier et il avait fallu tuer tous les occupants de la maison.

Salvancy avait encore la nausée en se remémorant le récit du massacre que lui avaient fait – en plaisantant ! – ses gardes du corps. Heureusement que le reste du plan s’était bien déroulé et que Louchart avait accusé et arrêté le fils. Avec un coupable, l’affaire s’arrêterait, avait assuré le commissaire. Cela rassurait le receveur des tailles, car sinon il y aurait eu enquête et les voisins avaient peut-être reconnu son protecteur. Évidemment, il était peiné pour ce pauvre Olivier qui allait subir le châtiment des parricides. Mais la foi impliquait des sacrifices. Olivier, comme son père, était un soldat de Dieu qui était tombé pour éviter l’esclavage calviniste.

Il fallait maintenant tenir encore quelques mois, songeait Salvancy, avec un peu d’appréhension. Ces rapines étaient devenues tellement importantes qu’il était désormais impossible au duc de Guise de s’en passer puisque cet argent finançait son armée. Heureusement, le cardinal de Bourbon serait bientôt roi, songeait le receveur pour se donner du courage.

En arrivant rue des Arcis où habitait Isoard Cappel, son regard fut attiré par la potence qu’on y avait dressée. Le corps, qu’il avait déjà aperçu le matin quand il arrivait de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie où il habitait, était toujours suspendu. Un corbeau affamé, posé sur la tête du supplicié, lui becquetait les yeux avec appétit. C’était un commis d’un receveur des aides et deniers communs qui avait volé une partie des aides. La potence avait été dressée devant la maison du receveur. Pour l’exemple.

Salvancy frissonna, songeant à nouveau avec inquiétude aux risques prodigieux qu’il prenait.

À partir de là, Valier et Faizelier, ses deux gardes du corps qui étaient à pied, se rapprochèrent de sa mule pour le protéger, car la foule était nombreuse à regarder le cadavre et à se moquer du mort. Or, dans une telle multitude, il y avait forcément quelques truands prêts à rapiner les badauds distraits.

Jehan Salvancy serra entre ses cuisses la double sacoche emplie de pièces d’or qui pesait près de quarante livres. Ce contact le rassura et il se morigéna de sa sotte inquiétude. Après tout, découvrir comment il détournait les tailles ne serait pas si facile. Seul quelqu’un sachant qu’il devait vérifier les comptes du receveur Salvancy pouvait repérer les baisses dans certaines paroisses. Mais il aurait encore à découvrir pourquoi la collecte avait diminué, puis à faire de longues vérifications à la grande chancellerie. Entretemps, on l’aurait prévenu et on aurait jeté en pâture le nom de quelques élus corrompus. Lui-même pourrait toujours dire qu’il ignorait tout, le temps de s’enfuir avec sa fortune.

Il avait pris toutes les précautions.

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